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Plage d'hiver

Des embruns iodés, un horizon d’ultraviolets

En 1857, on pouvait lire dans les prospectus vantant l’établissement des bains du village de Saxon au cœur des montagnes alpines suisses, le descriptif suivant :

« Il n’est pas de vallée en Suisse d’une étendue si grandiose. De Martigny à Sion, la végétation est luxuriante et le climat rappelle, en été, celui de la Provence, en hiver la tiède douceur du beau ciel de Nice. »

Cette même année, l’Académie de Médecine de Paris avait clairement établi la présence d’iode dans les eaux provenant de la source de Saxon, cela, une vingtaine d’année après qu’un médecin suisse, Maurice Claivaz ait découvert les propriété thérapeutiques des eaux de Saxon. Nous savons aujourd’hui, à partir des recherches de Russel au début du XIXe siècle, que l’iode est un oligo-élément indispensable à la fabrication des hormones thyroïdiennes. Son absence est à l’origine du goitre et de cette forme de crétinisme dite endémique, dont on commence à faire mention au milieu du 18ème siècle pour caractériser une forme de stupidité rencontrée chez certains habitants des Alpes. L’iode est absent des sols des pays alpins à cause des érosions diluviales qui ont eu lieu à la fin de la dernière période glaciaire de l’ère quaternaire et ont appauvri le sol. Les propriétés thérapeutiques de l’eau de Saxon contenant de l’iode se sont avérées donc tout à fait exactes pour lutter contre le goitre et le crétinisme sur une population en manque chronique d’iode. L’apport d’iode au corps se fait essentiellement à travers une alimentation d’origine marine, mais il peut être également inhalé (les embruns au bord de mer). L’iode est en effet contenu en forte quantité dans les eaux de mer, dans tous les produits issues de la mer comme les algues, le poisson ou les crustacés. Et c’est donc naturellement, au même moment, à la mer, durant la première moitié du XIXe siècle, à l’opposé des montagnes, que ces vertus pharmacologiques de l’eau de mer vinrent confirmer la pratique thérapeutique des bains de mer et participèrent à l’invention de la plage et au développement des pratiques balnéaires que l’on connaît jusqu’à aujourd’hui.

Il est particulièrement troublant de noter cette sorte de synesthésie géographique que l’on peut percevoir dans la phrase citée en introduction ci-dessus tirée du prospectus vantant les établissements des bains de Saxon. Comme si la présence, à Saxon, dans l’eau des montagnes, d’un élément chimique propre à la mer comme l’iode pouvait transformer profondément d’abord le corps de ses habitants mais aussi la géographie elle-même métamorphosant le climat alpin et ses montagnes en un paysage méditerranéen, baignée de lumière et de douceur balnéaire. Est-ce la même synesthésie à laquelle fit recours le gouvernement suisse lorsqu’il décida, en 1922, d’ajouter au sel de cuisine vendu communément en Suisse 3 mg d’iode par kilogramme de sel pour lutter avec succès contre le goitre et le crétinisme ? Cette mesure, qui fut suivie par les Etats-Unis en 1925 et par d’autres pays coupés du contact avec la mer par la suite, prit, par un heureux hasard poétique, comme support, un produit de la mer elle-même, le sel, comme une « méditerranéisation » microscopique des paysages de montagnes, comme une « océanisation » alimentaire des habitants des Alpes. La mer, absente de Suisse, est ainsi réintroduite en miniature dans l’alimentation, participant ainsi à cette ubiquité caractéristique de la modernité où les saisons dérivent dans l’année jusqu’à se chevaucher dans une sorte de printemps perpétuel, où les nuits et les jours s’amalgament dans une luminosité blanche autant diurne que nocturne, où les distances se raccourcissent jusqu’à se superposer dans l’immédiateté de la globalisation.

C’est finalement une synesthésie du même ordre que nous cherchons à produire au Life de Saint-Nazaire dans le projet d’une plage d’hiver : celle d’un hiver qui devient une forme dérivée de l’été, celle d’un lieu que l’on habite dans un même temps, à la fois estival et hivernal, dans une perception à la fois atmosphérique et physiologique. Une métamorphose qui est moins géographique que temporelle, celle d’une plage qui glisse en hiver, qui se contracte dans un certain rayonnement électromagnétique, dans un aérosol, comme une « estivalisation » de l’hiver nazairien.

Ce que nous en retenons ne sont que quelques phénomènes, soleil et embruns, bronzage et iode: un certain rayonnement et son angle d’incidence, un aérosol et une certaine composition chimique, quelques phénomènes estivaux et balnéaires que l’on reforme en intérieur, en plein hiver.

Notre projet se construit principalement sur deux éléments :

Un horizon d’ultraviolets
C’est d’une part la mise en place d’un rayonnement solaire celui que l’on rencontre au bord de la mer, sur la plage en été, qui nous parvient du ciel mais qui se reflète également sur l’eau et qui nous arrive ainsi sur la plage comme doublé. C’est pour cette raison que l’on bronze plus rapidement sur la plage qu’en ville ou à la campagne où le rayonnement solaire touchant le sol est absorbé et non pas reflété comme c’est le cas à la mer ou à la montagne, sur la neige. Ce que nous en reproduisons ici, c’est un paysage électromagnétique, un horizon d’ultraviolet, une certaine quantité d’UV-A présent sur la plage en été que nous percevons ici non plus dans le visible, mais de façon cutanée, par une transformation de la peau, par le bronzage, en plein hiver. C’est également cet angle d’incidence, qui se développe entre le sol, la ligne d’horizon et notre corps.

Des embruns iodés
C’est ensuite un aérosol marin, une forme dérivée des embruns marins, un nuage d’iode produit en intérieur, que l’on perçoit par la respiration et qui développe ses formes réelles dans le corps lui-même. L’espace sera chaud, autour de 28°C, une température où les vêtements ne sont plus indispensables que l’on trouve en été à Saint-Nazaire. Un bar servira de l’eau minérale naturelle provenant de Saxon, un village des montagnes suisses. Notre plage d’hiver est autant un glissement temporel entre l’été et l’hiver, qu’un glissement d’échelle, du macroscopique d’un paysage balnéaire en extérieur, avec mer et soleil, au microscopique physiologique en intérieur, avec iode et ultraviolet. C’est une composition d’éléments dont la signification et l’usage restent ouvertes et interprétables librement par l’individu autant que par le collectif, comme l’ont pu l’être au cours des siècles les rivages, entre rejet et désir. La plage d’hiver se donne comme une nouvelle forme d’espace public intérieur aux atmosphères lumineuses, olfactives, thermiques, gustatives décalée, quelque part entre la piscine et le restaurant exotique.

equipe

Camille Lacadee, Min Sun

maître d'ouvrage

Le Life

lieu, date

Saint-Nazaire, France, 2008

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