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Digestible gulf stream

Architecture comme météorologie, architecture comme gastronomie,

La question du climat comme thème architectural est devenue majeure face aux enjeux du développement durable en réponse au problème du réchauffement climatique. Par climat, nous entendons ici avant tout la gestion de la chaleur et du rafraîchissement à l’intérieur du bâtiment pour atteindre une moyenne tempérée de confort, ce qui est bien évidemment une des missions essentielles de l’architecture : faire que, dans les froideurs de l’hiver, nous ayons plus chaud à l’intérieur des maisons ou, à l’inverse, nous protéger en été du soleil et des canicules en nous repliant dans la fraîcheur des intérieurs. Paradoxalement, c’est en chauffant ou en rafraîchissant le climat intérieur que l’on brûle de l’énergie et que l’on dégage des gaz qui participent à l’effet de serre et au réchauffement climatique.

Pourrait-on aujourd’hui questionner cette mission climatique de l’architecture, la réévaluer d’une façon plus étendue, en l’augmentant à d’autres dimensions, d’autres perceptions, d’autres valeurs ? Nous en sommes absolument persuadés. Il faut aujourd’hui réévaluer le champ de l’architecture du physiologique à l’atmosphérique en prenant nos responsabilités face aux nouvelles préoccupations écologiques par rapport du climat.

Architecture comme météorologie
La notion de confort thermique n’est pas uniquement quantifiable en termes de température extérieure. Elle est aussi dépendante de l’habillement, de l’activité physique de l’habitant, de son alimentation. Elle résulte d’un équilibre entre différentes dimensions, entre le macroscopique et le microscopique, le climatique et l’alimentaire, l’atmosphérique et le physiologique. L’architecture est alors le medium qui articule ces différentes échelles, qui en amplifie une pour laisser l’autre se rétracter, qui transforme une sensation en travaillant sur une autre. Nous avons ainsi quatre possibilités pour se refroidir si l’on a trop chaud lesquels agissent à différentes échelles : 1- Diminuer la température de l’air de l’espace en le rafraîchissant à l’aide, par exemple, de l’air conditionné (solution atmosphérique) 2- Boire (solution physiologique) 3- Se déshabiller (solution sociale) 4- Arrêter de bouger (solution physique) Chacune de ces solutions est de l’architecture. L’architecture, c’est l’art de créer des polarisations à différentes échelles : atmosphérique, physiologique, sociale, physique, entre le chaud et le froid, l’habillé et le déshabillé, le mouvement et l’immobilité, la météorologie et le régime alimentaire. L’architecture est une médiation thermodynamique entre le macroscopique et le microscopique, le corps et l’espace, le visible et l’invisible, le météorologique et les fonctions physiologiques. L’architecture ne construit plus des espaces mais des températures des atmosphères. Ici, ce sont deux plateaux horizontaux en métal thermiquement conducteur qui se déploient à deux hauteurs différentes. Le plateau bas est chauffé à 28°C. Le plateau haut est refroidi à 12°C. À la manière d’un Gulf Stream miniature, leur position génère un mouvement d’air par un phénomène naturel de convection où l’air chaud ascendant se refroidit sur la plaque froide en hauteur pour redescendre puis se réchauffer à nouveau sur la plateau chaud, créant ainsi un flux thermique continu comme un paysage invisible. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est plus de créer des climats homogènes et déterminés, mais au contraire de créer une dynamique plastique aérienne, de mettre en place des forces et une polarité qui génère un paysage et de penser l’architecture comme la construction de météorologies. Entre 12°C et 28°C, l’habitant peut migrer dans ce paysage thermique et choisir librement un climat en fonction de ses envies vestimentaires, alimentaires, sportives, sociales et de ses activités. L’architecture se structure ici littéralement sur un courant d’air, déployant une spatialité fluide, aérienne, atmosphérique.

Architecture comme gastronomie
Il existe encore une autre possibilité de se rafraîchir, une cinquième, neurologique cette fois-ci : celle de stimuler directement au niveau du cerveau les récepteurs de la sensation de froid. Cela est possible et parfaitement connu depuis longtemps dans les pays chauds par l’ingestion de menthe laquelle contient des molécules d'origine cristalline appelées menthol qui provoque au niveau du cerveau la même sensation de fraîcheur que le ferait une température de 15 degrés Celsius. On a identifié récemment un canal calcique de la famille TRP-mélastatine (le TRPM8) dans les neurones des ganglions de la racine dorsale qui réagit au froid en même temps qu’aux substances mentholées. En effet, le menthol active les récepteurs sensoriels moléculaires TRPM8 présents sur la peau et dans la bouche qui stimulent le groupe de neurones sensoriels périphériques que l’on nomme « sensitive cold units ». Les TRPM8 appartiennent à la famille des canaux TRP (Transient receptor potential) et sont sensibles aux températures comprises entre 15°C et 28°C. À cette température ou en présence de menthol, ils activent les ions calcium dans les neurones sensoriels, transmettent l’information au cerveau par l’intermédiaire de la moelle épinière et procurent une sensation de froid.

Les recherches actuelles montreraient qu’il existe une autre famille de TRP dont le TRPA1 qui réagirait aux stimulations thermiques inférieures à 15°C. TRPA1 serait également stimulé par des molécules chimiques, le cinnamaldéhyde (présent par exemple dans la cannelle), l’allyi-isothiocyanate (présent dans la moutarde, le wasabi ou le radis noir) ou l’allicin, extrait de l’ail (Prof. Bernard Calvino / ESPCI / CNRS 2008).

Le phénomène contraire s’exerce avec le neurorécepteur TRPV1 qui est détecte des température supérieur à 44°C mais qui s’active aussi en présence de la “capsaïcine”, une molécule que l’on rencontre dans le piment rouge par exemple. La “capsaïcine” et des températures supérieures à 44°C stimulent le TRPV1 qui active la sensation de chaleur voire de brûlure. Dans des température plus basses, le TRPV3 est sensible aux températures comprises entre 30 et 40°C autant qu’à une molécule présente dans le camphre.

La sensation du froid et du chaud peut donc aussi bien être perçue à l’intérieur du corps (alimentation) qu’à l’extérieur du corps (atmosphère). Le champ traditionnel de l’architecture s’élargit alors, en travaillant à ces différentes échelles, en brouillant les limites entre intérieur et extérieur, corps et espace, neurologie et physiologie. La question de l’alimentation relève alors aussi de l’architecture, tout autant que la dimension climatique.

equipe

Andrej Bernik, Cyril Assaad

partenaires

Piero Macola (bande dessinée), Syd Matters (musique), Irene D'Agostino (urbanisme), Comsol (modélisation climatique)

maître d'ouvrage

11ème exposition internationale d'architecture, Aaron Betsky, commissaire

lieu, date

"Out There: Architecture Beyond Building" à Pavillon international à Venise, Italie, 2008

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