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Les nouvelles gorges d'Olduvai


Si l’on veut connaître l’essence de l’architecture, c’est finalement à notre condition « endotherme » que l’on doit revenir, à cette nécessité que l’on a de devoir maintenir la température de notre corps à 37°Celsius. Si l’architecture existe, il faut en rendre responsables les enzymes nécessaires aux réactions biochimiques du métabolisme humain. Présentes par milliards dans notre corps, ces molécules ne peuvent fonctionner de manière optimale qu’à une température comprise entre 35 et 37,6° C. L’homme doit donc maintenir sa température corporelle constante, indépendamment de la température extérieure. Pour cela, il compose entre des moyens intérieurs à son propre corps que sont les différents mécanismes de thermorégulation physiologique et des moyens hors du corps que sont, entre autres, l’habillement ou la construction d’abri. L’architecture n’est donc pas autonome. Elle rentre en réalité dans la gamme des moyens pour maintenir notre température proche de 37°. Elle est l’une des réponse à une baisse ou une augmentation trop fortes de la température du corps, à côte des mécanismes de vasodilatation, de sudation, de soif ou de contractions musculaires par exemples. Ces réponses sont appliquées isolément ou associées. Elles se développent du naturel à l’artificiel, du microscopique au macroscopique, du biochimique au météorologique, de l’alimentation à l’urbanisation, entre déterminisme physiologique et pure liberté culturelle. Dans cette mission, l’architecture apparaît comme une forme plus grande de vasoconstriction, ou inversement, l’alimentation apparaît comme une variante un peu plus menue de l’architecture. Car finalement l’architecture n’est rien d’autre qu’une forme augmentée des mécanismes thermorégulateurs corporels, une forme augmentée, exogène et artificielle de thermogenèse ou de thermolyse.

D’un point de vue anthropique, quand on dit avoir trop froid, ou au contraire quand on dit avoir trop chaud, on en trouve la cause hors de nous, dans un climat extérieur inadéquat, à un niveau atmosphérique. Et l’on tente de rendre habitable et confortable ce climat extérieur en le corrigeant, ce qui est l’origine et la mission même de l’architecture. En réalité, les premiers signes d’architecture sont physiologiques et totalement intérieurs et autonomes, ceux de transpirer s’il fait trop chaud ou de frissonner s’il fait trop froid. Ce sont les premières réponses à une élévation ou un abaissement de la température du corps dû à un environnement thermique défavorable. Puis, de la façon la plus simple, juste après, viennent les gestes les plus rudimentaires vers l’extérieur, celui de boire s’il fait trop chaud pour abaisser la température par évaporation ou de manger s’il fait trop froid pour lancer le processus de combustion des nutriments qui produira de la chaleur dans le corps.

Après ses mesures de corrections endogènes, si le corps n’arrive néanmoins pas à compenser la température trop froid ou trop chaude du milieu extérieur, se développe la gamme des corrections géographiques. La première action de correction est un mouvement, celui de la migratoire ou de la transhumance, celui de bouger, de changer d’endroit, de passer du froid au chaud, de se mettre au soleil ou à l’ombre. La deuxième action est celle de s’habiller ou de se déshabiller, de porter du blanc qui réfléchit la chaleur ou au contraire de porter des vêtements épais qui isolent. La troisième action est celle, de construire artificiellement de l’ombre et de la fraîcheur ou au contraire des lieux abrités, sans mouvement d’air et réchauffés. Ces mesures exogènes, que l’on prend dans le monde extérieur, ne sont qu’une projection hors du corps, d’un phénomène de thermogenèse quand il fait trop froid, ou de thermolyse quand il fait trop chaud. Pour paraphraser Vitruve, l’architecture des pays froids et d’hiver apparaît alors comme une thermogenèse augmentée, exogène, hors du corps. Et l’architecture des pays chauds et de l’été se donne comme une thermolyse extériorisée, corrigeant artificiellement ce que la nature à d’incommode.

La thermogenèse est la production accrue de chaleur dans le corps en cas de froid. Elle est conséquente à une activité sportive ou une absorption de nourriture. Elle consomme beaucoup d’énergie. Par thermogenèse, on active des frissons, on stimule le métabolisme et différentes hormones ce qui a comme effet de réchauffer de l’intérieur notre corps pour le maintenir autour de 37 °C. A la base de la thermogenèse, on trouve les aliments, principalement les protéines, c’est-à-dire la viande ou le poisson, et aussi le sucre. La part principale de l’alimentation sert à ce mécanisme. La digestion des protéines, leur combustion dans le cycle de Krebs notamment, provoque une forte chaleur qui relève la température du corps.

Manger est donc une forme intérieure du même processus de réactions thermiques que celui qui nous pousse à bâtir des maisons dans des climats froids. De même, les constructions typiques des pays chauds, ryad, portiques, fortes épaisseurs des murs, sont des formes extériorisées de thermolyse, cette fonction du corps qui sert à dissiper le surplus de chaleur par vasodilatation ou sudation.

Il peut sembler étonnant de vouloir revenir si profondément à la compréhension des raisons et des moyens de l’architecture, mais le problème du réchauffement climatique a soudainement jeté sur le devant de la scène la mission climatique de l’architecture, les responsabilités de cette dernière dans la gestion de l’énergie et des ressources. Les architectes se doivent aujourd’hui d’explorer l’étendue des moyens architecturaux qui vont dans le sens du développement durable. Ils doivent comprendre comment ils peuvent limiter la consommation d’énergie et la production de gaz à effet de serre et comme, nous le savons, cela concerne aujourd’hui avant tout une réduction de l’énergie dépensée dans le bâtiment pour le chauffage ou le rafraîchissement.

On connaît aujourd’hui les mesures à prendre concernant l’urbanisation où l’on prône essentiellement une densification de la ville et une concentration des fonctions afin de limiter l’énergie gaspillée dans les déplacements. On connaît ensuite les mesures à prendre concernant le bâtiment où l’on prône d’une part l’utilisation d’énergie renouvelable et d’autre part une amélioration considérable de l’isolation thermique de l’enveloppe des bâtiments couplée avec un renouvellement d’air contrôlé. Mais existe-t-il une architecture qui agirait à un niveau plus modique, plus fin, plus petit , plus économe? Une architecture moins lourde, moins présente, une architecture diluée, presque homéopathique, mais dont l’ambition de correction climatique serait respectée ? Nous aimerions aujourd’hui descendre un peu plus bas dans l’échelle des mesures de corrections climatiques, explorer les zones sensibles au plus près du corps, à la limite de la peau, atteindre le point où l’architecture se dissout et devient pure thermogenèse. Mais ne nous trompons pas. Si cette recherche consiste bien évidemment à économiser l’énergie dépensée dans le bâtiment et à lutter contre le réchauffement climatique, il s’agit aussi de découvrir de nouveaux modes d’habitations et de compositions spatiales, d’élaborer de nouvelles stratégies de design et de beauté, où les échelles se mélangent, où l’architecture devient autant construction et structure qu’alimentation et sudation.

L’exposition à l’Ecole d’architecture de la Royal Danish School of Fine-Arts relève d’une telle stratégie. Elle provoque l’émergence de nouvelles solutions architecturales en n’agissant plus sur la délimitation par l’extérieur d’un climat confortable où la température du corps peut se maintenir sans effort à 37°C, mais dans le surgissement, de l’intérieur, de solutions architecturales endogènes. Elle explore les formes microscopiques, digestibles, électromagnétiques de l’architecture, quelque part entre diététique, thermogenique et esthétique.

Nous proposons ainsi, dans l’hiver du nord, de proposer 3 zones. Notre travail débute à ce moment-là, en recomposant l’espace à partir des nécessités du corps, en palliant un à un aux manques et aux déficits, en développant une thermogenèse endogène qui se développe peu à peu hors du corps sans jamais devenir vêtement ni maison. L’architecture est ici une juxtaposition d’éléments qui chacun répond à un manque, une insuffisance, celle provoquée par la froideur de l’hiver danois, celle d’une diminution de l’ensoleillement et de la durée du jour dans ces latitudes éloignées de l’équateur, plongées dans l’hiver. Et Celle d’une trop forte chaleur. Une architecture au plus près du corps qui apporte élément par éléments des réponses en vitamine D, vitamine A, mélatonine, chaleur, nutriments.

Plus de jour
Un rayonnement électromagnétique à 470 nanomètres pour bloquer la sécrétion trop importante de mélatonine engendrée par la faiblesse et l’absence de lumière du jour

Une table (polyéthylène) rectangulaire couverte de poissons gras tels que le saumon, la truite, le flétan, le hareng, le sprat et le maquereau présenté crue sous forme de sashimi, près à être mangé pour apporter immédiatement au corps la vitamine D apporter normalement par le soleil

Un horizon d’ultraviolet, pour permettre une synthèse de la vitamine D, absente à cause de la brièveté de la durée de la journée en hiver au Danemark

Un champ de carottes apparent, que l’on peut manger pour améliorer la vision nocturne en apportant de la vitamine A

Plus de chaleur
Une plateforme noire, en polyéthylène, mat, carré, pour capter au maximum les rayonnements électromagnétiques présents dans la pièce, les piéger et les transformer en chaleur

Une plateforme en caillebotis sous laquelle se trouve un champs de piments (chauffage dans la terre) éclairé en périphérie par des lumières photosynthèse. Les piments stimulent le canal ionique et les neurorécepteur TRPV1 qui est celui qui détecte des température supérieures à 44°C et s’actives aussi en présence de la “capsaïcine”, une molécule que l’on rencontre dans le piment rouge. La “capsaïcine” et des températures supérieures à 44°C stimulent le TRPV1 qui active la sensation de chaleur forte

Un appareil de production de thé chaud au piment pour boire la chaleur des piments

Un appareil de cuisson professionnelle pour viande bouillie pour pouvoir ingérer des protéines qui constituent le carburant de la chaleur produite par le corps dans la maintenance de sa température à 37°C

Une musique techno diffusé par haut-parleur directionnel à un beat 120 BPM afin d’aider le rythme cardiaque à augmenter de 60 battements par minutes jusqu’à 120 battements par minutes, augmentant ainsi le métabolisme et l’activité musculaire

Un banc pour 5 personnes compacte e enchevêtré pour un partage de la chaleur humaine

Plus de froid
Un portemanteau

Un ventilateur

Une plantation de menthe qui contient du menthol stimulant le canal ionique et les neurorécepteurs TRPM8 qui est celui qui détecte des températures inférieures à 15°C et s’active aussi en présence du “menthol”, une molécule que l’on rencontre dans la menthe

Un distributeur d’eau à la menthe

Un plateau sur lequel est déposé du sel pour favoriser la transpiration du corps

equipe

Aurore Chartier

maître d'ouvrage

The Royal Danish Academy of Fine Arts, School of Architecture

lieu, date

Exposition "Climate and Architecture", Copenhague, Danemark, 2009

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