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Lowering climates


Pour exemple, notre projet pour un nouveau musée en Estonie n’est pas l’incarnation d’un usage, ni d’une pratique culturelle de l’espace muséal. Il n’est pas non plus l’expression symbolique ou la métaphore d’un signe ou d’une image préalablement conÁue. En réalité, l’architecture n’est ici rien d’autre qu’un abaissement progressif de certaines valeurs climatologiques ambiantes telles que le taux d’humidité, la quantité d’ultraviolets, l’intensité lumineuse. L’objectif est de répondre à la nécessité du musée de conserver dans le temps les matériaux des œuvres d’art en les soustrayant à certaines conditions chimiques et physiques naturelles qui entraînent leur détérioration. La conservation des œuvres nécessite, selon leur nature organique ou minérale, un climat spécifiquement déterminé. Ainsi, le métal doit être conservé dans un environnement dont le taux d’humidité de l’air doit être très bas, entre 15 et 30% afin d’éviter la rouille par l’oxydation. Les matériaux organiques, au contraire, nécessitent pour leur conservation un taux d’humidité relatif plus élevé, jusqu’à 60 %, pour éviter leur déshydratation. Mais il ne doit pas dépasser 75% au risque d’entraîner les moisissures. De même, à chaque matériau correspond une quantité de lumière admissible. La lumière provoque des modifications au niveau moléculaire et entraîne des dégradations photochimiques de la matière pour les longueurs d’onde les plus courtes comme les ultraviolets ainsi que par échauffement de la matière pour les longueurs d’onde plus longues proche des infrarouges. Ainsi le papier doit être conservé autour d’une intensité maximale de 20 lux tandis que le bois ou le métal supporte une luminosité plus forte.

Le musée s’organise ainsi dans une dégradation du climat naturel, une progression rigoureuse et rythmée de l’extérieur vers l’intérieur, du plus humide au plus sec, du plus lumineux au plus sombre, du plus intense en ultraviolet au plus faible. Il se présente dans une succession de filtres sélectifs qui réduisent progressivement les paramètres chimiques et physiques lesquels génèrent la détérioration des matières selon leurs caractéristiques physico-chimiques spécifiques. Le plan du musée s’organise dans un emboîtement d’enveloppes en verre successives que l’on franchit les unes après les autres en passant du milieu ambiant naturel plus corrosif à un milieu de plus en plus dégradé et chimiquement neutre. Depuis l’extérieur jusqu’au coeur du musée, cinq climats aux taux d’humidité différents se succèdent. C’est d’abord le taux d’humidité de l’air qui est réduit graduellement de couches en couches, passant de 76% à 60% puis 55% puis 35% puis 30% puis 20%. C’est en même temps l’intensité lumineuse naturelle qui baisse plus on s’enfonce dans le musée descendant progressivement de 5000 lux à 10 lux au cœur du musée. Les locaux sont placés dans l’un ou l’autre de ces climats en fonction des nécessités chimiques de conservation des œuvres.

La qualité de l’architecture surgit de ce parcours dans l’invisible. La pratique de l’espace par les visiteurs est générée par de ce principe de composition formelle du musée dans sa nécessité de conservation. La visite du musée se fait selon cette progression, en s’enfonÁant dans les données chimiques et physiques de la conservation des œuvres. Les salles d’exposition forment un continuum qui se déploie entre les espaces de stockage et que l’on parcourt librement, en migrant à travers les climats. C’est une visite culturelle mais aussi sensible qui est offerte au visiteur. Ce n’est plus seulement par la vue que l’on appréhende les œuvres mais également à travers la physiologie de l’espace et du corps. C’est une descente dans l’obscurité, la perception d’un air de plus en plus sec. C’est ici l’invention d’un nouveau mode de visite du musée, dans le phénomène physique–même de la conservation des œuvres, l’appréhension physiologique d’un climat de plus en plus proche d’une disparition du temps où la dégradation chimique s'efface peu à peu et où le visiteur entr’aperÁoit une forme architecturale de pérennité.

equipe

Cyrille Berger, Mustapha Majid, Marc Eychenne

maître d'ouvrage

Musée national de l'Estonie

lieu, date

Tartu, Estonie, 2005

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